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Éloge de feu Raymond McNicoll, Ing., à McMasterville, au Salon Demers, le 2 février 2013

Chère Famille McNicoll,

Nous avons été plus que malheureux d’apprendre que Raymond fut emporté par une sournoise et cruelle leucémie, Raymond qui fut notre impayable camarade, entre 1956 et 1961, aux Collèges militaires de St-Jean et de Kingston. Nous compatissons de tout coeur avec vous.

Nous avons vécu alors cinq années comme un clan tissé serré d’élèves-officiers soumis à un régime aussi sévère que studieux. De l’aube au crépuscule, l’on comprimait de multiples activités, tant militaires que sportives, entre des plages de cours de génie et d’humanités couvrant de 10 à 14 matières, selon la session. Un tel régime intensif laisse bien des traces dans les cerveaux, y compris des impressions, au moins fugaces sinon durables, des uns et des autres. Il demeure qu’après 50 ans de dispersion du clan, seules les personnalités indélébiles demeurent intactes sur la toile des souvenirs.

Justement, Raymond s’avère l’un de nos rares camarades qui soient demeurés en permanence dans nos têtes, et cela tient à l’originalité multiforme dont il fit preuve en ce temps-là. Vite on le découvrit comme étant à la fois sans peur, rebelle, boxeur, séducteur, voire poète. Avec autant d’atouts en milieu aussi austère, il avait de quoi composer un héros à nous.

Il ne connaissait pas la trouille, pas plus devant l’autorité que sur un ring, devant un boxeur prétentieux, dont il savait en général triompher, souvent par K.O. Il ne détestait pas une bonne querelle car son aplomb et sa fermeté lui donnaient l’avantage.

Il interprétait avec audace les règlements . Comme nul autre, il sautait la clôture du Collège si Montréal l’appelait. Il revenait de ses escapades, on imagine à l’aube, un peu écorché, avec, au moins une fois, de gros points de suture sur la joue. Un héros ne se fabrique pas sans cicatrices.

À des moments imprévisibles, révélant un côté tendre qu’il cachait d’ordinaire, il s’affichait furtivement, en toute sensibilité, comme poète inquiet du destin. Sa force résidait dans des jeux de mots subtils où le propos, qui se laisse deviner, se conjugue aux sonorités pour créer une atmosphère nostalgique accrocheuse. En témoigne l’un de ses poèmes, sur un vieillard en désarroi, coupable d’un forfait, que le journal du Collège, Le Rempart, publia en décembre 58, en page 3. Lisons-le. Vous verrez de quel vocabulaire Raymond se chauffait. Le poème s’intitule La Gamme Nostalgique, et se décline comme suit:

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LA GAMME NOSTALGIQUE

Un homme va misérablement dans le sentier boueux,

Debout.

La lune, taciturne, s’estompe dans une urne

D’eau

Il marche péniblement, traînant de fatigue son forfait,

Ignorant les sinistres ombrages

Des arbres

Qui penchent, immenses paquets

D’os.

Courbant l’échine qui paraît sur son ciré,

Il hâte le pas, s’agrippe à la boue;

Des nerfs se tracent à son cou; il est tombé

Dans le fourré.

La lèvre amère, il se relève debout,

S’étire, se détend; mal lui en est resté

Au dos.

Il pleut d’une pluie pesante,

Méchante…

Où ira-t-il, ce vieillard,

Par cette nuit mouvante

À travers l’épais brouillard

D’eau?

et c’est signé: R. McN.

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C’était bien là notre copain francophone Raymond McNicoll au patronyme irlandais. Pour ceux d’entre nous, avec un penchant cinéma, qui avions vu le mythique Casablanca, nous aimions voir en Raymond le Humphrey Bogart de notre clan, avec imper, chapeau, cigarette, bière et, bien sûr, une femme sublime qui l’aime sans espoir, car astreinte à l’exil.

Décidément, il exerça sur nous un charme durable. À preuve, lorsque diverses circonstances, au fil des décennies, réunissaient certains d’entre nous, invariablement survenait une question du genre: “Où niche donc Raymond McNicoll?” Et là, à défaut de nouvelles, se déclenchaient autant les sourires que la concurrence pour raconter ses hauts faits les plus cocasses, du temps de notre “pensionnat” militaire.

Nous sûmes qu’après une année de plus à Kingston et l’exécution de son contrat en tant qu’officier de Marine, il trouva sa voie comme ingénieur civil dans le privé, et qu’il devint un intrépide entrepreneur. Raymond préférait se dire un employeur, c’est moins froid, plus paternaliste, avec des sous-traitants, comme des enfants, qu’on surveille sans cesse. On imagine qu’il fut imaginatif, sociable et avisé pour réussir dans une activité aussi difficile.

En tout cas, il emporte avec lui notre affection, celle que nous, de son clan 56-61, gardons pour les rares héros qui ont égayé nos rudes années d’école militaire.

Que l’adaptation de tous à un monde sans Raymond se fasse dans la douceur de bons souvenirs.

Raymond, ton clan te salue militairement.

Guy Charest pour le clan

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